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Le plus grand mal de notre pays demeure notre faculté incroyable à nous brimer, à nous refuser la réussite, à ne regarder que les côtés les plus obscurs de notre société. Je ne cesse de le répéter, et notamment dans ces colonnes. Il nous faut pourtant croire en nous ! En ce sens, la période actuelle doit être utilisée pour réaliser un travail sur nous-mêmes, et à ce titre, sortir grandis du marasme actuel et entreprendre de la bonne façon. J’appelle donc de mes vœux un renouveau économique et social qui passera, selon moi, par l’innovation. Puisque j’ai, dans mon dernier article, fait le tour d’horizon de nos forces, je veux donc aujourd’hui souligner la dynamique qui nous sauvera.
Le retour de Schumpeter ?
La théorie de l'innovation
Je prends le risque de reprendre ici les théories schumpetériennes sur l’innovation et la croissance, parce que je les juge tant pertinentes que d’actualité. La pensée de Schumpeter est, à mes yeux, trop souvent résumée à la simple destruction créatrice, qui demeure il est vrai sa principale théorie. Pour autant, ses visions de l’innovation et de l’entrepreneur sont somme toute très intéressantes. Entendons-nous sur la notion d’entrepreneur, et je me permettrais alors de citer ici Schumpeter, qui qualifie l’entrepreneur d’ « homme de l’innovation ».
« l’entrepreneur est un homme dont les horizons économiques sont vastes et dont l’énergie est suffisante pour bousculer la propension à la routine et réaliser des innovations »
Pour l’auteur, seul l’entrepreneur est capable de permettre à l’invention (qui est le fait de scientifiques, en général) de devenir une innovation (autrement dit, une traduction matérielle de l’invention, notamment sous forme de produits et/ou de services). Pour en finir avec la théorie, je survole la destruction créatrice, qui met en avant un processus au sein duquel les innovations se substituent aux activités en place.
Les facteurs de croissance
Je suis un fervent défenseur de ces théories. J’irai même plus loin en m’inscrivant dans la lignée des théoriciens de la croissance endogène. Ces derniers soulignent un certain nombre de facteurs de croissance, que je considère extrêmement judicieux. Je pense notamment à Romer, qui reprend naturellement le progrès technique, mais aussi à Lucas qui fait des connaissances et compétences individuelles un facteur central – remettant par ailleurs l’homme au cœur de la croissance –, ou encore à Barro, puisque la puissance publique a son rôle à jouer. Je n’oublierai pas le capital physique, naturellement.
Le moteur de la destruction créatrice
Si je me reconnais dans ces lignes, je tiens à m’inspirer de ces théories pour formuler trois hypothèses et conditions économiques et sociales posées à l’innovation. Tout d’abord, la destruction créatrice est, pour moi, un mouvement assez dangereux dans lequel nous risquons parfois de renier le passé sans s’en inspirer et sans savoir tirer les leçons de celui-ci. En ce sens, l’obsolescence permanente créée par ce processus peut se révéler déstabilisante économiquement et socialement. Nous devons savoir, notamment socialement, garder des points d’ancrage et de référence sans toujours vouloir renverser le plateau sur lequel se trouvent toutes les pièces du jeu social. Ensuite, pour continuer sur la notion de destruction créatrice, je souhaiterais m’en inspirer. En effet, je crois que deux processus différents existent. Tout d’abord, la destruction auto-créatrice, qui à mes yeux, économiquement et socialement parlant, constitue une force immense. Dès lors qu’un tiers est amené à bouleverser un ordre économique ou social, immédiatement, soit les forces en présence vont se raviver, soit des forces extérieures vont entrer dans l’arène. Prenons deux exemples. Le premier sera celui du tissu industriel français. La fermeture des usines sidérurgiques a produit de nombreux effets. À court terme, une mobilisation sociale forte, qui a renforcé la cohésion sociale.
À long terme, une mobilité sociale – plus horizontale que verticale, il est vrai – s’est produite, entraînant l’entrée sur d’autres marchés de nouveaux salariés, et notamment dans le textile (parfois de luxe). Le second portera sur un projet quelconque d’urbanisation et de réaménagement. Soyez assurés que la cohésion pour ou contre le projet sera forte, produisant une nouvelle socialisation ; tandis que l’aboutissement du projet permettra un renouveau local et urbain. Ensuite, je souhaite m’intéresser à l’autodestruction créatrice. Je suis de ceux qui croient que, socialement, voire psychologiquement je le concède, tout un chacun possède en lui un potentiel immense qui ne demande qu’à être révélé. Ainsi, tous ceux qui, quelles que soient les raisons, sont mis à la marge, ou connaissent les pires des difficultés, seront les personnes qui feront preuve de la plus grande des créativités et des réflexivités. Nous devons à ce titre associer en permanence le monde social et le monde économique, j’y reviendrai. Enfin, je me permets d’associer l’entrepreneur schumpétérien et l’entrepreneur de morale béckérien. Le premier est quasiment un aventurier qui part à la conquête de l’innovation davantage par goût pour elle – et ses corollaires : sentiment de puissance, de victoire, de pouvoir … – que pour en retirer un profit. Le second est celui qui cherche à maintenir un ordre social en défendant ardemment une norme. Je souhaite ici en tirer deux remarques.
D’une part, l’entrepreneur ne doit pas être un entrepreneur de morale, au risque de s’attacher à une norme, elle-même devenue une référence économique, qui brimerait de facto la création. D’autre part, l’entrepreneuriat ne doit pas devenir une norme.
Autrement dit, s’il faut sensibiliser à l’entrepreneuriat, il ne s’agit pas non plus de faire de la création d’entreprise un passage obligé pour quiconque veut s’engager. Nous risquons pourtant à tout moment de sombrer dans ce travers, qui tuerait l’innovation dont nous avons besoin, puisque les entrepreneurs ne seraient plus animés par la flamme décrite par Schumpeter. Ces quelques hypothèses sont celles que nous devons réunir pour faire de l’innovation notre source de croissance. À savoir que nous ne devons pas renier le passé social et économique, que l’entrepreneur n’est pas un statut, mais une vocation – voire une fonction sociale – et que les processus d’autodestruction créatrice et de destruction autocréatrice sont à intégrer dans notre société. Reste à savoir comment l’innovation va produire la croissance dont nous avons besoin.
L’innovation sociale comme moteur d’une nouvelle société
J’ai souligné tout à l’heure, en abordant la question de l’autodestruction créatrice, le nécessaire travail collaboratif entre les mondes sociaux et économiques. Je ne crois plus à un système dans lequel seuls les acteurs économiques parviendront à faire fonctionner notre pays, et encore moins à réunir les conditions nécessaires à la cohésion sociale et au développement économique. Le potentiel de chacun est un diamant brut à tailler.
Les acteurs sociaux et économiques engagés aux côtés de ces jeunes – et moins jeunes – leur fournissent le marteau et le burin dont ils ont besoin. Cependant, ce sont les jeunes eux-mêmes qui doivent tailler leur potentiel. Cessons de penser de manière dichotomique. Voici comment résumer notre vision du monde social : soit l’on a un potentiel et des compétences donc l’on innove et entreprend, soit l’on n’entreprend pas, ce qui signifie que l’on n’a pas compétences et de potentiel. Je me refuse d’appartenir à cette idéologie.
Mutualiser nos compétences
Je souhaite donc éclairer la troisième voie, qui est celle de l’apport des compétences et du potentiel des individus aux individus qui veulent entreprendre – le monde économique –, et qui ont besoin des premiers. Nous ne pouvons pas innover, créer, grandir sans travailler ensemble et rassembler nos forces. Cessons de penser que les ingénieurs peuvent vivre sans gestionnaires ou les commerciaux sans codeurs… Il faut mettre à bas l’opposition permanente entre social et économie. Il s’agit du pré-requis à toute refonte de notre modèle économique mais aussi social. En acceptant cette collaboration objective, subjective et étroite entre les différentes sphères économiques et sociales, nous acceptons également de mettre fin à la lutte permanente entre elles. Pour prendre l’exemple du monde associatif, je ne souhaite plus voir de guerres entre les associations agissant en faveur de l’insertion sociale et celles qui s’engagent sur les questions économiques en défendant par exemple la création d’entreprises.
Il nous faut agir ensemble !
En créant cette nouvelle dynamique, nous favorisons aussi une meilleure cohérence de la sphère de l’initiative économique. Je défends depuis plus de deux ans le droit de tout un chacun à créer son entreprise, et notamment lorsque l’on est jeune. Je rends d’ailleurs hommage à ces jeunes qui ont le courage d’entreprendre, et qui font rayonner notre pays. Néanmoins, le taux d’échec des start-ups est trop important pour ne pas réagir. Il faut aussi parfois savoir raviser ses ambitions quand l’entrepreneuriat est encore trop inaccessible. La création d’entreprises nécessite une passion, une vocation (qui peut s’apprendre !), une flamme. Assurons de l’avoir avant de partir à l’aventure.
S'engager dans notre passion entrepreneuriale
Je suis aussi parmi ceux qui au quotidien agissent pour promouvoir l’engagement des jeunes dans le monde social et économique. Néanmoins, refusons la permanente institutionnalisation de l’engagement ! Aujourd’hui, en France, ne sont engagés que les associatifs, les militants, les entrepreneurs, les citoyens présents dans des comités ou des commissions… Pourtant, observez ces jeunes qui agissent dans leurs quartiers, loin des cadres institutionnels. Regardez ces collaborations parfois impressionnantes entre les acteurs locaux et les jeunes, sans se constituer en associations. Donnons les moyens à ceux qui veulent s’institutionnaliser de le faire, mais acceptons aussi l’engagement informel ! Reconnaissons-les en tant qu’engagés ! Dans ce cas-là, vous verrez que la Jeunesse de France est l’une des plus engagées du monde. C’est précisément cela l’innovation sociale. Créer une nouvelle dynamique qui ne se construit pas en opposition à ce qui existe aujourd’hui, mais qui accepte l’échec comme la réussite, qui accepte les entrepreneurs comme les talents cachés, qui accepte l’institution comme l’informel, qui accepte que tout un chacun soit l’acteur de la société. Et aujourd’hui, nous sommes nombreux à avoir pris conscience de cette réalité. Je ne choisirais que l’exemple du Forum des Innovations de Bordeaux, et citerais ici la présentation officielle : il est
« chargé de détecter systématiquement toutes les innovations qui émergent du terrain : talents à encourager, idées prometteuses à incuber ou bien encore des initiatives citoyennes à identifier et à récompenser. L'objectif principal (…) est de "dénicher" les innovations de toute nature, économique, sociale, environnementale, culturelle et sociétale. Le FIB (…) est un mouvement enthousiaste qui a pour principe : le refus de la fatalité, le positivisme par l'action, la vision inclusive de la société, une volonté de travailler pour et avec les citoyens, la démarche citoyenne, dans un esprit de co-gestion et la conviction que le sursaut de la France passe par la vitalité de ses territoires, des maires et des élus locaux ».
Je n’oublie pas non plus le mouvement Bleu Blanc Zèbre, qui travaille aussi dans ce sens.
L’innovation intellectuelle produira l’avenir
Dès lors que nous aurons changé de regard sur les mondes économiques et sociaux, dès lors que l’on acceptera d’être tous les acteurs de la société d’aujourd’hui comme de demain, dès lors que nous ferons confiance et aux jeunes et aux moins jeunes pour s’engager comme jamais pour leur pays mais aussi pour eux, alors seulement l’avenir sera meilleur. C’est à partir d’une perspective sociale et économique renouvelée que nous pourrons tous ensemble favoriser l’innovation intellectuelle. Je crois sincèrement que rien ne sera possible sans l’investissement conjoint de toutes les sphères de notre société : la sphère sociale, la sphère économique, la sphère culturelle et la sphère politique. Nous devons tous être capables de réfléchir sur nous-mêmes, de porter un jugement serein mais réaliste sur ce que nous sommes, ce dont nous sommes capables, et ce sur quoi nous éprouvons des difficultés. À partir de ce moment-là, enfin, nous sortirons du marasme économique et social que je dénonçais au début de cet article.
Les jeunes, ces pionniers
Ce mouvement intellectuel est d’ores et déjà lancé et porté en France. Je pense à tous ces think-tanks portés par des jeunes, dans les universités, dans les écoles, dans les associations. Les jeunes acceptent enfin, eux aussi, de produire des connaissances intellectuelles fortes et puissantes. Et bien loin des préjugés, les jeunes soumettent des remarques parfois bien éloignées de leur quotidien, s’intéressant aussi aux autres sphères de la société. Ils sont en quelque sorte les précurseurs du renouvellement social que j’appelle de mes vœux ! S’ils prennent ainsi leur avenir en mains, c’est notamment parce qu’on a su les écouter, et non plus les mépriser, comme avant. Il faut poursuivre nos efforts, à la fois en arrivant à augmenter le niveau d’exigences de réflexion que nous nous imposons, mais aussi en maintenant et renforçant l’écoute portée aux jeunes.
Quelques précurseurs
Du point de vue économique, le mouvement est déjà en marche. Observez avec attention The Boson Project, porté par Emmanuelle Duez. En mettant au cœur de leur projet l’humain, ce Laboratoire de Développement du Capital Humain cherche avant tout à établir un renouvellement de la sphère économique, et notamment du modèle des entreprises de demain. Et pour les citer, il s’agit de « créer de la valeur et des valeurs en misant sur les individus ». Quel ambitieux et beau programme ! Enfin, je choisirais également comme illustration Osons la France, à la fois forum et exposition, qui souhaite nous faire participer à une « nouvelle révolution française », faisant confiance à nos atouts et à nos potentiels. Nous n’avons plus de raisons de craindre l’avenir ! La reprise est déjà en marche ! Non pas parce que le gouvernement l’annonce, mais bien parce que ceux qui font la société, ceux qui font l’économie sont prêts à innover et à porter hautes nos couleurs. Les innovateurs ont confiance en nous, alors qu’attendons-nous pour avoir confiance en eux, mais aussi et surtout, enfin, en nous ? Le retour de la croissance se fera grâce à tout un chacun, et la société se mouvera grâce à notre engagement conjoint.