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Le concept de plafond de verre, qui caractérise le filtre empêchant les femmes d’atteindre les plus hautes sphères du pouvoir (économique, social, politique, quel qu’il soit), est bien connu, voire même répandu. Il s’avère pourtant que les jeunes souffrent d’un mal similaire, sans doute tout aussi redoutable mais bien moins visible, parce qu’il leur laisse tout de même une place dans la lumière…
Le verre d’un plafond fissuré
La différence flagrante entre les femmes et les jeunes dans le concept de plafond de verre demeure qu’au premier abord, les jeunes sont bien plus nombreux que les femmes à avoir pu le fissurer. En effet, les femmes aujourd’hui portées aux plus hautes responsabilités le sont du fait des quotas, de l’exemple, tel qu’a pu l’expliquer Nathalie Loiseau dans Choisissez tout !,
tandis que la reconnaissance du talent, des savoirs, des compétences, de l’excellence est encore insuffisante…
Les jeunes qui sont parvenus à fissurer ce plafond ont, quant à eux, fait preuve d’une étincelle de folie, d’un surplus de fantaisie, d’un talent incontournable ou d’un savoir-faire rare pour parvenir non seulement à dépasser l’image négative que tout jeune porte, mais en sus à forcer la reconnaissance et de leurs pairs, et de ceux qui les entourent, peu importent ici leur fonction ou leurs responsabilités. L’expression « forcer le respect » n’a jamais été si puissante pour comprendre la posture actuelle des jeunes. En effet, la méfiance prime dans la plupart des cas dès lors que les jeunes sont à l’origine d’une action, et seule la force, symbolique bien entendu, permet de s’imposer. Alors le plafond a-t-il été brisé par cette force juvénile…pour mieux se reformer autour d’eux, constituant progressivement une pyramide.
Plus un jeune gravit les échelons de la pyramide, moins les autres jeunes lui semblent nombreux, puisque différents, n’aspirant pas au même destin. Ainsi, par un double jeu de distinction pour les uns et de rejet pour les autres, atteindre le sommet de la pyramide est synonyme d’une déconnexion progressive de la Jeunesse, au sens large de la communauté qui englobe tous les jeunes. Ces jeunes qui progressent dans leur vie ont tendance à se distinguer de ceux qui n’ont pas cette chance, par crainte d’être nivelés par le bas ; tandis que les seconds, plutôt que de saisir au passage le moyen de s’élever grâce à un pair, méprisent ceux qui, trop rapidement, réussissent et s’extirpent de leur condition. Le fait est que ce phénomène d’attraction et de répulsion bien connu dans la société est accentué par cette dernière : en effet, plus un jeune est rejeté, plus il se situera bas dans la pyramide et ainsi moins apparaîtra-t-il dans la société. A l’inverse, un jeune qui correspond en tous points à ce que l’on attend de lui, qui est conforme aux espérances collectives, par exemple du fait de son verbe ou de sa présentation, sera mis dans la lumière, pour toujours mieux briller.
Parce que d’un côté d’une pyramide de verre, la lumière est blanche, de l’autre, elle est multicolore.
Une croissante pyramide
Cette pyramide est donc le résultat conjugué d’interactions dissonantes entre les jeunes et la société, mais aussi avec eux-mêmes. Le regard des pairs vis-à-vis de ceux qui ont de l’ambition est acerbe, quelle que soit l’origine et du jeune motivé et des autres jeunes qui l’entourent. Comprenons ici que la méfiance qui s’est instaurée dans notre société pour la Jeunesse a progressivement corrompu le lien qui réunissait les jeunes entre eux. Parce que la recherche du succès est mal vue dans notre société et que l’ambition est un vice dangereux, sans doute par peur de la réussite, ce sont les jeunes eux-mêmes qui, à leur tour, ont développé des sentiments de défiance ; là où la notion de défi retrouve toute sa splendeur. C’est ainsi que s’est construite la pyramide : une interaction qui mêle rejet et admiration entre les jeunes (sans doute le simple résultat de l’ambivalence de l’homme !), auxquelles s’ajoutent les doutes de la société à l’égard de ces derniers. Pourtant, certains jeunes jouissent d’une chance toute particulière, à savoir d’avoir été choisis par la société, et entendons par là les institutions, les élites, mais aussi la population et les jeunes eux-mêmes, pour être une sorte d’ambassadeur. Parce qu’ils avaient, initialement, un talent, une force, une particularité, ils ont été retenus pour gravir, à l’aide d’un ascenseur symbolique, les différents étages de cette pyramide, quitte à se couper des autres jeunes restés à la base de celle-ci. Autrement dit, la société met en lumière les jeunes qu’elle idéalise, mais laisse de côté les autres, parce que non-conformes à ses attentes.
L’existence d’une telle pyramide de verre pourrait n’être, si l’on en faisait une analyse simpliste, que le résultat de la méritocratie républicaine, qui propulse les meilleurs vers le haut. Le fait est qu’elle s’est surtout construite sur des fondations fragiles. La pyramide est en verre, elle laisse donc voir le monde, et crée de multiples frustrations, y compris chez les jeunes qui en jouissent. Surtout même. En effet, chez les jeunes pour qui l’action n’est que secondaire, le fait d’être reconnu ne les importe pas, ipso facto. En revanche, ceux qui, de leur côté, ont créé une petite association, leur start-up, leur collectif, et qui n’ont pas ce plaisir d’être regardés d’un œil bienveillant voire bienfaiteur par la société, voient leur potentiel gâché, j’y reviendrai. La pyramide repose sur une base fragile, et se caractérise par trois faces qui mènent au sommet.
Première face qui constitue cette pyramide, le resserrement : en clair, la place de plus en plus étroite laissée aux jeunes dès lors que l’on atteint les plus hautes sphères. Il ne serait pas mal venu de parler d’élimination progressive, qui s’effectue sur des critères objectifs (niveau de diplômes par exemple) ou subjectifs (savoir-être notamment). La deuxième face, sans doute la plus connue, est relative à la mobilité, horizontale et verticale. Il est toujours aussi complexe de gravir les échelons sociaux, sauf pour une petite minorité (il suffit de lire les conclusions des rapports PISA de l’OCDE). Mais en sus, les jeunes ont fait de la sédentarité un leitmotiv : moins enclins à être mobiles géographiquement, intéressés par une stabilité de vie, ils se ferment eux-mêmes la porte qui pourrait les libérer de leurs carcans ; d’autant plus dans un monde où seuls les mobiles réussissent (et, parmi eux, les jeunes mobiles aux fortes capacités d’adaptation). La troisième et dernière face de notre pyramide, plus abstraite, mais non moins cruciale, la subjectivité des jeunes qui, déçus par le manque d’intérêt de la société et de leurs pairs pour leurs activités, voient leurs ambitions découragées et leurs projets malmenés. Il ne faut jamais sous-estimer la violence symbolique de l’absence d’attention portée à un jeune et ses propositions. Si pour rompre la pyramide, la force symbolique est indispensable, c’est parce qu’elle la crée.
Briser la pyramide de verre ?
Je ne le dirai jamais assez, la France compte des milliers de jeunes formidables, qui proposent des projets extraordinaires mais que l’on ignore pour la simple raison qu'ils sont jeunes.
Voilà comment s’est posée la première pierre de notre pyramide, une forme de désaffiliation, de manque d'intégration, sociale mais aussi symbolique. La volonté peut suffire à un jeune pour sortir de la pyramide, voire même pour en jouir. Même si l'ascenseur social est en panne, l’Ecole reste une ressource incontournable. Certes, face à une famille et des pairs démotivés, un espace public et politique complètement déconnecté de la réalité et qui voit encore les jeunes comme des écoliers, rien n’est aisé. Pour encourager cette envie de réussir chez nos jeunes, il faut d’abord combattre avec force et puissance l’image négative dont nous pâtissons. Et pour cela, il convient de nous – engagés qui avons joui des plus hautes sphères de la pyramide – mobiliser auprès des décideurs, des élites, des médias, de la société. La transmission n’est pas que le fait des générations, elle peut être intragénérationnelle, et c’est en ce sens que nous avons le devoir d’aider les autres jeunes, de les accompagner. C'est parce que l'on refuse de donner une place aux jeunes dans la société et aussi parce que le manque d’efficacité de l'éducation est indéniable que la pyramide s’est affermie. Les jeunes engagés, les acteurs d’aujourd’hui, voire même les citoyens jeunes, quoi qu’ils fassent, méritent plus que ce qu’ils reçoivent aujourd’hui. J’en ai l’intime conviction, en cette Journée Internationale de la Jeunesse.