Aujourd’hui, vous passez un entretien d’embauche. Je le sais, car votre réveil a sonné plus tôt que d’habitude. Je le sais, car vous savez déjà exactement comment vous allez vous habiller. La veille, vous avez débattu longuement avec vous-même pour savoir quelle tenue choisir pour faire bonne impression. Vous devez paraître sérieux et dynamique, mais sans avoir l’air trop coincé. Devant le miroir, vous remettez plusieurs fois en question votre choix de la veille. Ensuite, vous vous préparez soigneusement et sortez enfin de chez vous. Généralement, le soleil n’est pas encore levé, car vous avez anticipé les problèmes de transports et votre sens de l’orientation pourri, en partant avec une heure d’avance. Cependant, vous avez perdu 30 minutes en vous préparant. Vous n’en avez plus que 30 au cas où, ce qui vous angoisse. Sur le chemin, les plus connectés en profiteront pour prendre un selfie accompagné d’un hashtag « Go entretien, on croise les doigts », convaincus que quelqu’un en a réellement quelque chose à faire.
Dans les transports, vous en profitez pour préparer des phrases toutes faites, que vous n’arriverez généralement pas à placer. Votre musique porte-bonheur dans les écouteurs, vous essayez de vous convaincre que vous allez y arriver et que vous allez être redoutable dans la négociation du salaire. Finalement tout va bien, et vous arrivez avec 30 minutes d’avance. Vous repérez l’entrée discrètement et allez vous cacher quelques mètres plus loin. Personne ne doit savoir que vous êtes arrivés trop à l’avance. Là le temps parait long, les aiguilles de votre montre tournent en rond, vous aussi.
3 cigarettes et 14 SMS plus tard vous sortez de votre cachette en trainant la patte, respirez un grand coup et sonnez à la porte. Une secrétaire vous invite à vous assoir. Vous vous mettez alors à l’observer et à analyser sa tenue pour évaluer le style vestimentaire de l’entreprise, à adopter si vous êtes embauché. Vous profitez des quelques instants qui vous reste pour aller sur le site internet de l’entreprise avec votre téléphone pour vous parer aux éventuelles questions. On vous invite alors à rejoindre la salle d’à côté pour l’entretien. Vous serrez la main des deux personnes présentes avec une poigne digne des plus grands maffieux. C’est important, parait-il. Vous voilà la main engourdie, face à vos bourreaux et à attendre la permission de vous assoir.
C’est parti pour l’interrogatoire.
Très vite vous essayez de cerner vos interlocuteurs en essayant de savoir lequel des deux a le rôle du gentil, et lequel va vous faire bafouiller avant la fin de l’entretien. L’entretien se passe, mais rarement comme prévu. Les questions ne sont pas celles que vous aviez préparées et les phrases toutes faites sortent avec les mots dans le désordre. On finit par vous exposer les conditions salariales. C’est le moment où vous allez enfin pouvoir négocier votre salaire. D’un ton affirmé et dans un élan de courage, vous…ne dites strictement rien. Vous n’avez pas osé et l’entretien touche à sa fin.
Le recruteur vous remercie d’être venu, ce à quoi vous répondez que c’est vous qui le remerciiez de vous avoir reçu et s’en suis des formules de politesse pompeuses. En partant vous lanciez un « A bientôt » timide, pour essayer d’avoir un indice sur l’embauche tant convoitée. Vous voilà dehors, vidé comme après un combat de boxe. Le téléphone à la main, vous envoyez un message groupé à ceux qui poliment avaient feinté en avoir quelque chose à faire.
« Entretien fini, franchement je sais pas du tout on verra, au moins c’est fait ».
Il ne reste plus qu’à attendre la réponse et à frôler la crise cardiaque à chaque coup de téléphone.