Pourquoi la réforme des stages risque de desservir les étudiants

Mis à jour le  16 avril 2019

Pourquoi la réforme des stages risque de desservir les étudiants

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Sommaire :

La loi qui réforme le code de l’éducation a été adoptée le 24 février 2014 par l’Assemblée Nationale. Examinée le 29 avril par le Sénat, le texte devrait souffrir de peu de modifications. Si son esprit est de protéger les étudiants, elle deviendra très rapidement leur pire cauchemar.

Des avancées à noter

Le statut de stagiaire est fondamental tant pour le jeune en cours de formation que pour les entreprises, qu’il s’agisse de celles qui les accueillent ou bien de celles qui les recruteront. En effet, les premiers voient la possibilité d’appliquer leurs connaissances théoriques et de se forger des compétences propres à la pratique même du métier qui les intéresse. A l’inverse, les entreprises voient d’un bon œil l’arrivée de stagiaires chez eux. Celles qui les accueillent peuvent ainsi transmettre leur savoir-faire mais aussi la culture de l’entreprise. Voire même repérer les pépites qu’elles pourraient conserver. Il n’est en effet pas surprenant de voir des stagiaires recrutés avant même d’être diplômés, les entreprises ne souhaitant pas laisser passer une si belle opportunité. Quant aux recruteurs, ils sont assurés que leur futur collaborateur n’est pas un pur produit du système scolaire. Aujourd’hui, le gouvernement et sa majorité font le choix d’accroître la protection et les avantages des stagiaires. En tant qu’étudiant et associatif, je ne peux que défendre activement une meilleure attention portée aux stagiaires, notamment quant aux conditions de travail et aux missions confiées. A ce titre, les stagiaires se verront attribués de nouveaux droits, se rapprochant encore davantage de ceux des salariés de l’entreprise. C’est notamment le cas quant aux tickets restaurants ou encore au remboursement partiel des frais de transport. De même, leur statut se veut considérablement revu dans la mesure où ils devront désormais être inscrits dans le registre du personnel. Enfin, l’une des principales mesures annoncées et qui marquera sans doute le plus reste naturellement la réaffirmation et les précisions apportées à l’abaissement de la durée minimale de stage pour laquelle une gratification devra désormais être versée. En effet, alors que cette durée était déjà de deux mois, la loi rendra obligatoires les gratifications dès le premier jour, et non plus à partir du troisième mois comme le faisaient certaines entreprises (la différence entre l'esprit de la loi et son interprétation...) Naturellement, au premier abord, la réaffirmation de cette évolution semble particulièrement bénéfique pour les étudiants et notamment concernant la précarité financière qui les touche chaque jour davantage. Pourtant, j'ai toujours été réservé dans la mesure où cette décision aura évidemment des conséquences particulièrement néfastes sur l’offre de stages et, surtout, sur la durée de ceux-ci.

De graves erreurs de stratégie

Cette proposition de loi a tous les éléments pour séduire les établissements et les étudiants. Je ne doute d’ailleurs pas que, dans son esprit, les parlementaires eurent un souci de bienveillance tout-à-fait louable et qu’il convient de souligner. Pourtant, certaines décisions se veulent particulièrement tragiques… L’abaissement de trois à deux mois de la durée minimale d’un stage rémunéré n’était pas à l'époque la mesure la plus lourde de conséquences. En effet, si l’on pose sur la balance les avantages et les inconvénients, il convient assurément d’aller en faveur d’une rémunération plus précoce. Même si, de facto, la durée des stages va connaître un raccourcissement assez inquiétant. Si trois mois était une période charnière qui distinguait assez bien un stage de découverte du stage de professionnalisation, qui se devait d’être rémunéré, deux mois me semblent bien courts… Dans la mesure où la conjoncture actuelle est difficile pour les entreprises, je crains que ces réaffirmations et reprécisions ne soient à l'origine de tendances qui risque d'apparaître dans les mois à venir. D’une part, naturellement, les entreprises vont probablement privilégier les stages de moins de deux mois. N’oublions jamais que l’accueil d’un stagiaire est un investissement extrêmement lourd ! Il convient de lui accorder un certain nombre d’avantages énoncés plus hauts, mais aussi de lui fournir du matériel notamment. De surcroît, les maîtres de stage et collaborateurs du stagiaire verront leur productivité diminuer, afin d’accompagner l’étudiant. Si cet échange humain est fondamental, il représente tout de même un investissement. De même, les établissements d’enseignement supérieur avaient pris l’habitude – une majorité, sans vouloir généraliser – de faire effectuer deux à trois stages à leurs étudiants. Ces stages avaient alors des durées tout à fait variables. Deux de trois mois et un de six mois en général. Que va-t-il se passer ? Si celui de six mois restera intact, il est probable que les deux autres seront ramenés à deux mois pour mettre toutes les chances du côté des demandeurs de stage… La deuxième erreur commise au sein de cette réforme est, de mon point de vue, la limitation du nombre de stagiaires comparé à l’effectif total de l’entreprise. Les premières statistiques qui nous sont annoncées sont autour de 10 %. Il s’agit là d’un moyen d’éviter les abus, notamment la multiplication de postes précaires que sont les stages en remplacement de postes stables tels que des CDD ou des CDI. Si la cause est noble, l’effet est particulièrement déroutant. En effet, deux situations se dessinent.  Contrairement aux idées reçues, les PME mettent en œuvre des stratégies afin d’accueillir des stagiaires, malgré les moyens financiers indispensables. Dans ce type d’entreprises, le quota de 10 % est absurde dans la mesure où c’est précisément la taille réduite de la structure qui peut intéresser les stagiaires, leur permettant d’avoir accès à de nombreux aspects du monde de l’entreprise (les « services » et « directions » sont bien moins différenciés). Concernant les entreprises de taille moyenne ou encore les grandes entreprises, peut-on réellement affirmer qu’un stagiaire maximum pour un service de 10 personnes est le moyen d’éviter un recrutement ? Plutôt qu’empêcher celles qui désirent s’investir dans la formation des étudiants de le faire, un contrôle accru de l’Inspection du Travail mais aussi une vigilance particulière de l’établissement d’enseignement d’origine – et notamment par la désignation d’un référent qui suivrait le stagiaire depuis l’établissement – seraient plus efficaces.

Quand comprendra-t-on l’intérêt de l’expérience professionnelle ?

La dernière mesure proposée n’est pas des moindres. En effet, il s’agit d’interdire les stages dépassant une durée de six mois. La justification apportée par la Ministre de l’Enseignement Supérieur est la suivante : « Si le stage est un volet de la formation, alors rien ne justifie qu'il dure plus de six mois car, au-delà de cette durée, sa pertinence pédagogique n'est pas démontrée »[1]. Les stages de professionnalisation sont pourtant fondamentaux et peuvent parfois dépasser six mois. J’attends donc avec impatience la publication, le cas échéant, du décret qui rendra possibles certaines dérogations, et espère sincèrement que ces dernières prendront compte de l’indispensable professionnalisation de l’enseignement supérieur. Malheureusement, deux après la promulgation de la loi, les dérogations prendront fin, selon les premières informations. Il est temps, et je plaide cette cause depuis de nombreuses années, que l’on accepte que le monde de l’entreprise soit interpénétré avec celui de l’enseignement supérieur. Il n’est plus possible de se former sans connaître « la réalité du terrain ». Si les établissements prestigieux, dits « grandes écoles », l’ont parfaitement intégré et laissent la part belle aux stages, les universités justifient leur distance par un décret d’août 2010, visant à interdire les stages hors cursus. En réalité, celui-ci ne fait qu’encadrer les stages afin de s’assurer qu’ils aient un intérêt au sein de la formation. La justification de la pertinence pédagogique me semble donc bien hasardeuse. En effet, afin de se professionnaliser, il convient dans un premier temps de se familiariser avec l’entreprise, sa production, son organisation. Plusieurs semaines sont à ce titre indispensables. De surcroît, un stagiaire est dans cette position afin de s’enrichir, d’agir, de coopérer avec ses collègues. Lorsque l’on dénonce que les stagiaires soient mis à contribution, je me réjouis qu’ils soient associés au processus de décision et d’action. Les stagiaires ont vocation à apprendre, à participer, à proposer et, surtout, à faire erreur afin d’être conseillé par leur maître de stage. Que l’on cesse définitivement les a priori ! Par ailleurs, je suis profondément attaché à une vision de l’enseignement qui s’appuie tant sur le parcours théorique, établi au sein d’un établissement d’enseignement supérieur, que sur l’expérience pratique et pragmatique au sein de l’entreprise. Ainsi, quand la Ministre poursuit : « Dans certaines formations, les stages longs freinent le développement de l'alternance, dont la pédagogie est adaptée au temps plus long et le statut plus protecteur. Je souhaite d'ailleurs le doublement de l'alternance dans l'enseignement supérieur à l'horizon 2020 »[2] ; je suis le premier à me réjouir d’une telle annonce. Pourtant, je crains qu’à l’instar des discours tenus sur l’apprentissage – du second cycle de l’enseignement secondaire – qui aurait du être revalorisé afin de mettre fin à l’hégémonie des filières générales face à l’enseignement professionnel ; les paroles ne soient pas suivies d’actes. De surcroît, la dichotomie entre la volonté de professionnalisation – induite par les stages et l’apprentissage – d’une part, et à l’inverse le processus de généralisation engagé en première année de licence (multiplication des troncs communs, entre autres, déjà abordée) démontre une immense ambiguïté dans la politique éducative actuelle. Pour poursuivre le tableau, les mesures concrètes permettant des initiations à l’entrepreneuriat et la découverte du monde de l’entreprise dans le secondaire me semblent insuffisantes et, pour l’instant, ne semblent pas la priorité. En réalité, la solution au chômage se trouve ici, les jeunes étant les recruteurs de demain. Enfin, la députée auteure de la proposition de loi, C. Khirouni, souhaite « envoyer un signe aux entreprises qui abusent »[3]. En l’occurrence, le décret du 26 août 2010 avait d’ores et déjà posé de nouveaux cadres. Les entreprises qui abusent ne sont en réalité pas aussi nombreuses que ce que l’on essaie de nous faire croire. Plutôt que de poser de nouvelles contraintes à toutes les entreprises, il serait bienvenu de renforcer la prévention et la répression, quitte à mettre en place des amendes. J’en appelle donc à une réflexion plus profonde en matière de professionnalisation dans l’enseignement supérieur, en partenariat avec l’ensemble des acteurs, en lieu et place d’envois de signaux qui pourraient les décourager. Aujourd’hui, la France a besoin de renouveau au sein de son système scolaire, un système qui ne sait toujours pas comment s’adapter aux nouveaux besoins du marché de l’emploi et aux exigences des recruteurs et, pire encore, qui ne répond même plus aux espérances des jeunes.



[1] Paroles prononcées par Madame la Ministre devant l’Assemblée Nationale
[2] Ibid
[3] Sud Ouest du mercredi 5 mars 2014, p.2
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